Nos propositions pour relancer le processus démocratique. interview Realités

 5avril 2007

 interview realisée parZyed Krichen

Mohamed Goumani et Fethi Touzri :

Nos propositions pour relancer le processus démocratique

 

Les textes politiques sont rares dans notre pays. Certes chaque parti a ses plates-formes, ses motions de congrès, ses textes constitutifs, mais presque tous participent d’un langage inaccessible aux communs des mortels. Les idées convenues y sont légion et l’idéologique le dispute au populisme souvent superficiel.

Nous n’arrivons pas à nous remémorer un texte politique ces dernières années qui appelle réellement le débat, qui fasse bouger les lignes et interpelle les gens en dehors des paroisses des uns et des autres.

Un texte semble émerger de tout ce lot donné à la lecture des initiés. Il s’appelle “Une vision politique d’avenir” et a été commis par deux membres de la direction du Parti Démocratique Progressiste : Mohamed Goumani, actuel secrétaire général adjoint et Fethi Touzri membre du Bureau Politique.

Sur soixante pages les deux auteurs font un bilan sévère de la situation politique. Ils imputent aux pouvoirs publics la crispation qu’ils croient déceler dans la vie politique de notre pays. Mais, fait nouveaux, ils dressent un réquisitoire lucide et sans concession contre la ligne politique adoptée par leur parti, et d’autres aussi, à partir de 2002 et qui déplace progressivement le PDP d’une posture réformiste à un radicalisme de plus en plus exacerbé.

Goumani et Touzri ajoutent autre chose au constat. Ils proposent une feuille de route pour sortir de la crispation et renouer le dialogue. Il faudrait, selon eux, rétablir un climat de confiance propice pour un véritable débat national afin de déboucher sur une grande réforme politique.

Les deux parties sont-elles prêtes à cela ? Peut-être pas encore. La motion présentée par Goumani et Touzri au Congrès du PDP tenu à Tunis au mois de décembre dernier a été mise en minorité. Seulement, et cela est une première en Tunisie, la minorité n’a pas été marginalisée et ses deux principaux animateurs ont trouvé leur position renforcée au sein du nouveau Bureau Politique.

Signe des temps ou simple gestion interne ?

Seul l’avenir nous le dira.

Quelle est l’idée centrale de votre texte “Une vision politique d’avenir” ?

Fethi Touzri : L’idée est qu’un nouvel horizon politique est nécessaire pour le pays. Le projet d’une démocratie consensuelle ouverte seulement aux partis politiques proches du pouvoir a prouvé ses limites. Pour sortir de cette situation, il faudrait qu’il y ait de nouvelles initiatives audacieuses et courageuses. L’essentiel est de promouvoir une décrispation politique dont le pays a besoin.

On peut vous rétorquer que l’opposition radicale n’a rien fait, elle non plus, pour créer les conditions d’une décrispation politique…

Fethi Touzri : L’opposition a des demandes politiques claires depuis des années : des réformes sérieuses et un débat national afin de faciliter la participation politique citoyenne. Les canaux de dialogue avec le gouvernement sont rompus.

Ne pensez- vous pas que la radicalité excessive de certaines positions n’a pas facilité cette ambiance de confiance mutuelle ?

Fethi Touzri : Nous pensons que cette radicalité excessive est le fruit, et non la cause, d’une situation de blocage politique. Je considère que l’opposition démocratique, que certains qualifient de radicale, est modérée. Son discours s’est radicalisé suite à sa marginalisation.

Mohamed Goumani : L’environnement régional de la Tunisie a radicalement changé. Il suffit de voir ce qui se passe en Mauritanie, au Maroc, en Algérie et même en Libye pour voir que nous sommes en train d’accuser un retard dans la voie des réformes démocratiques.

Les indicateurs du développement économique et social sont bons, mais en totale contradiction avec le développement politique du pays.

Il y a aussi ce que j’appelle l’équilibre de la faiblesse entre le pouvoir et les partis de l’opposition. Le pouvoir semble mettre entre parenthèses les véritables réformes politiques. En face ni l’opposition de convenance ni même l’opposition indépendante n’ont pu convaincre l’opinion publique qu’elles peuvent être une véritable alternative. L’opposition indépendante est restée contestaire et sans véritable emprise sur les rapports de force. Cela doit nous conduire, tous, à de véritables remises en question. Car cet état de choses n’est ni dans l’intérêt du pouvoir, ni dans l’intérêt des partis de l’opposition, ni encore moins dans l’intérêt de la société. Le blocage politique peut être porteur de risques pour notre pays.

Quel rapport entre les risques auxquels vous faites allusion, le terrorisme et la situation politique du pays ?

Fethi Touzri : Le terrorisme est un défi mondial. Il menace de nombreux pays et sociétés dont la Tunisie. Mais si on essaye d’analyser le terrorisme en tant que phénomène social, pourquoi des jeunes choisissent-ils la violence ? C’est un choix parmi tant d’autres, comme l’action politique pacifique ou la réussite scolaire…L’intervention de la société civile et politique se place à ce niveau : le renforcement des autres choix possibles pour la jeunesse, qu’ils soient individuels ou collectifs, afin de tarir au maximum la voie de la violence.

Le contexte mondial, par la multiplication des foyers de guerre et de tensions dans le Monde arabo-musulman, peut favoriser le choix de la violence. Cela doit nous inciter à multiplier les opportunités vertueuses, au niveau national, pour notre jeunesse.

Quelles sont ces opportunités vertueuses ?

Fethi Touzri : La réussite scolaire, l’accès à un emploi attractif, la possibilité d’une participation réelle à la vie de la cité…

Notre pays réalise grosso-modo 5% de taux de croissance. Il semble, selon les experts, que notre mode de développement ne permette pas d’aller au-delà de ces 5%. Nous estimons qu’une véritable libération des énergies politiques est un préalable pour passer à une vitesse de développement socio-économique supérieure.

Mohamed Goumani : Le terrorisme ne peut être excusé d’aucune manière. Mais il nous faut en comprendre les raisons afin de mieux le combattre. Les pouvoirs publics ont une responsabilité envers toutes les catégories de la jeunesse, y compris celle qui est attirée par la religion. Le discours public en matière de religion s’est montré incapable d’encadrer cette jeunesse-là.

Que peut faire la société civile, tout en sachant qu’il y a un consensus en Tunisie sur la nécessité de la non- politisation des lieux de culte… ?

Mohamed Goumani : Je suis personnellement pour cette non- politisation, mais il faudrait aussi qu’il y ait un encadrement religieux crédible et d’envergure afin de répondre à l’attente spirituelle de cette partie de la jeunesse.

Que faut-il faire, selon vous, pour relancer le dynamisme de la vie politique en Tunisie ?

Fethi Touzri : A quelque chose malheur est bon. Les derniers évènements de la banlieue sud (la mise hors d’état de nuire d’un groupe terroriste. NDLR) doivent inciter tous les acteurs politiques à renforcer la stabilité et l’invulnérabilité du pays. Il faudrait impérativement briser le mur de méfiance entre le pouvoir et l’opposition indépendante.

L’opposition que vous qualifiez d’indépendante est-elle prête à cela ?

Fethi Touzri :Une partie d’entre elle certainement. Il n’est pas indispensable pour aller de l’avant que toute l’opposition indépendante soit prête à ce dégel. Pour nous c’est une première étape indispensable pour relancer le processus démocratique.

C’est cette nouvelle atmosphère psychologique qui va permettre d’ouvrir un véritable débat national sur les différents aspects de la participation à la vie politique. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des structures formelles pour encadrer ce débat. Une presse plus libre peut tout à fait jouer ce rôle. Cette maturation est nécessaire et peut déboucher sur une feuille de route de « mise à niveau » de notre vie politique.

Mohamed Goumani : Les discours du pouvoir et de l’opposition indépendants sont actuellement aux antipodes. Tout est positif pour les uns, tout est négatif pour les autres. Une reprise sérieuse du débat national permettra de relativiser les discours des uns et des autres et de donner réellement à nos concitoyens des éléments d’espoir. Le discours maximaliste de certains opposants a montré ses limites. Si le système n’est pas réformable, comme le prétendent certains, alors quel horizon offrons- nous à nos militants et sympathisants ? Les partis légaux sont là pour réformer. L’idée qu’il n’y a pas d’issue est néfaste pour le pays et pour l’opposition légale.

L’opposition indépendante doit exprimer ses revendications d’une manière plus positive.

On reproche à une certaine opposition de pallier à la faiblesse de ses assises par un discours revendicatif dur destiné aux chancelleries étrangères. Qu’en pensez-vous ?

Fethi Touzri : Elargir le champ de la participation politique est un impératif qu’on ne peut plus éluder. C’est cela qui fera que les élites se sentent, de nouveau, concernées par la chose publique et l’avenir du pays.

Nous demandons à ce que les pouvoirs publics initient, sans plus tarder, cet élargissement de la participation politique. Il est bien entendu que l’opposition se doit d’oeuvrer dans le cadre national et dans l’horizon du seul intérêt du pays. C’est un mouvement qui doit s’engager des deux côtés.

Si les tribunes nationales que sont les médias de masse permettent à l’opposition indépendante d’exposer ses points de vue et ses programmes, alors il n’y aura aucune raison pour « courir » derrière les tribunes étrangères. Je suis optimiste. Je pense que cette double dynamique est encore possible.

Je veux ajouter autre chose. L’interventionnisme étranger, contrairement à ce que pensent certains de nos amis, n’est pas une fiction. C’est une réalité dangereuse. Nous ne pouvons le combattre que par une plus grande participation de nos concitoyens à la chose publique.

Pourquoi le discours que vous tenez n’arrive-t-il pas à être majoritaire dans votre parti ? Cela ne signifie-t-il pas que l’opposition indépendante n’est pas encore prête à la politique de la main tendue que vous préconisez ?

Mohamed Goumani : La vision que nous avons essayé de développer dans notre texte a trouvé un écho favorable dans le Parti. Il a permis un débat de fond sur la ligne politique du PDP. Certaines de nos idées ont été reprises par la motion politique qui a focalisé sur l’importance du dialogue. Le projet que nous avons présenté a recueilli près de 40% des voix au Congrès du PDP de décembre dernier. En plus de cela, la première conférence de presse organisée par notre nouvelle Secrétaire générale a été porteuse de cette démarche positive que nous appelons de nos v½ux. Nous pensons que notre point de vue sera encore plus fort si les pouvoirs publics décident d’engager le pays dans de nouvelles réformes politiques.

Certains vous ont reproché —à vous deux— de ne pas impliquer les autres sensibilités du PDP dans l’élaboration de votre texte.

Mohamed Goumani : Certains voudraient figer le PDP dans des allégeances idéologiques héritées de la guerre froide. En décidant tous les deux d’être des membres fondateurs du PDP, nous avons signifié par cela que nous nous inscrivons totalement dans l’action politique et non idéologique. Je défie quiconque de trouver une seule ligne dans ces soixante pages qui se réfèrent à l’idéologie. D’ailleurs les militants du PDP ont eu, eux aussi, une attitude politique face à ce texte. Beaucoup l’ont adopté tout en se réclamant d’expériences fort différentes de la nôtre. Il est déjà difficile d’écrire un texte de soixante pages à deux et nous voulions instaurer ce débat au plus vite afin que le Congrès tranche en connaissance de cause et nous avons voulu aussi qu’il ait la diffusion la plus large.

Honnêtement, comment avez- vous fait pour l’écrire ensemble ?

Mohamed Goumani : Fethi commençait la phrase et moi je la terminais (rires).

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